Avec Yves et Stéphanie, nous nous sommes rendus vendredi et samedi à un séminaire « Géographie et droit » organisé à Carcassonne par Nadia Belaidi, Geneviève Koubi et Frédéric Ogé. C’était l’occasion de prendre la mesure du développement de ce champ, (re)lancé par la publication de l’ouvrage dirigé par Patrick Forest, et de discuter d’approches conjointes avec des géographes, des juristes, mais aussi d’autres participants qui avaient rencontré très directement le nexus droit-géographie à la faveur de leurs activités professionnelles ou des circonstances de leur vie personnelle. J’ai été très heureux de faire la connaissance d’une participante qui avait contesté avec succès le plan de prévention des risques d’inondation qui plaçait sa maison en zone inondable et s’était, poour ce faire, emparé de toutes les ressources pratiques et théoriques du droit et de la géographie. Les discussions furent animées et m’ont amené à faire quelques constatations.
La première, c’est que la réflexion géographique contemporaine sur la nature de l’espace n’a pas percolé en dehors du cadre de la discipline: les géographes ne conçoivent plus l’espace ni comme un contenant newtonien (donc un espace positionnel), ni comme la « chose étendue », positive dans sa matérialité. Actuellement, la perspective dominante voit l’espace comme une réalité relationnelle, produite par les acteurs sociaux. Or, cette acception, curieusement, ne trouve que peu d’échos chez les juristes, qui s’intéressent principalement aux phénomènes de délimitation et de qualification juridiques des zones.
La seconde, c’est que je me suis fait vertement recevoir quand j’ai laissé entendre (maladroitement) que c’est le caractère performatif du droit qui intéressait les géographes, c’est-à-dire la dimension normative du droit entendue comme ressources pour les acteurs sociaux, sa capacité à être mobilisé en vue d’une intervention. Là, ça coince: les juristes présents étaient assez véhéments pour dire leur peu d’intérêt pour la question de l’application concrète du droit. Il leur paraissait plus riche de conduire une généalogie des mentions et des usages de la géographie dans la formulation du droit, à la fois textuelle mais aussi matérielle (par exemple, dans le cas de la carte judiciaire).
Enfin, et c’est la dernière remarques, il y a un très gros enjeu de vocabulaire pour travailler sur les relations entre droit et géographie: quand je disais « performativité », le mot entendu était « effectivité ». Rien à voir. D’où l’idée lancée par Frédéric de commencer par rédiger une sorte de lexique bilingue, droit-géographie.