S’il y a bien un truc que je n’ai jamais aimé aux Etats-Unis, c’est l’odeur des shampooings du commerce. L’odorat est probablement le sens qui a le moins subi la mondialisation. Autant les images, les couleurs, les sons sont susceptibles d’être rapidement diffusés, autant les goûts et les odeurs sont beaucoup moins facilement exportables tels quels. Il est bien connu que les cuisines « ethniques » font l’objet d’une adaptation aux goûts des marchés auxquels elles sont destinés (ce que déplore la reine du curry en Angleterre par exemple, Camellia Panjabi.) Quiconque s’est déjà morfondu devant la vitrine d’un traiteur chinois à Paris ne peut pas avoir le moindre doute à ce sujet (ouais, ouais, porc aigre douce… beuh). C’est dire que les goûts et les odeurs ne font pas simplement l’objet de préférences individuelles : ce sont des objets culturels, c’est-à-dire partagés et transmissibles. Et donc localisés spatialement.
A ce titre, les goûts et les odeurs ont une géographie. Aucun goût n’est universel, pas même la vanille, pourtant très populaire dans le monde occidental. Les fabricants normands de la pâte nutritionnelle Plumpy Nut s’en étaient avisés : les enfants africains à qui étaient destinés cet aliment thérapeutique n’aimaient pas son goût de vanille (pourtant un produit tropical). En revanche, comme beaucoup d’enfants à travers le monde, les enfants africains raffolent du goût de la cacahouète : même pour un produit destiné à lutter contre la sous-alimentation, le goût est important et Plumpy Nut a maintenant la cacahouète en héritage.
Les rédacteurs d’Espace et cultures avaient consacré à la géographie des odeurs un numéro spécial il y a quelques années. Périodiquement, on s’avise en effet que la géographie privilégie outrageusement le regard parmi les cinq sens et quelques courageux aventuriers de l’intellect se lancent dans une reconquête des géographies propres aux autres sens. J’ai le souvenir d’avoir lu il y a quelques années un article qui portait sur les « haptic spaces », c’est-à-dire les relations spatiales conçues par l’entremise du toucher. L’idée était bonne et faisait suite à la réintroduction du corps en géographie comme échelle d’analyse, interface sensorielle et objet politique. Mais malheureusement, cert article était surtout le prétexte à un monumental exercice de cuistrerie (mot pour lequel j’ai le plus grand mal à trouver une traduction exacte en anglais et qui me serait pourtant bien utile).
De temps en temps, une bizarrerie gustative ou olfactive me rappelle que culturellement, il existe aussi un divide franco-anglais au niveau du goût ou de l’odorat. Pour bien des Français, goûter à la Marmite (prononcer « Marmaïte ») est une expérience à la limite du bizutage, tellement ce goût de levure (yeast) est éloigné de nos habitudes. Les Anglais en raffolent, au point d’en parfumer les biscuits apéritifs (méfiez-vous si on vous propose des Twiglets avec un grand sourire : ces perfides Britanniques connaissent bien l’aversion française pour ce goût vraiment bizarre). J’ai récemment fait une expérience intéressante, qui permet de remettre l’odorat aussi en perspective historique (et pas simplement à la manière de Süsskind : il est trop simple de faire référence aux parfums, qui sont davantage susceptibles d’être exportés et donc, de faire l’objet d’un consensus culturel). Je me suis rendu compte qu’un autre best-seller olfactif en Angleterre, c’est le goudron. Je ne mens pas : cf. la photo ci-dessous, un savon acheté au supermarché du coin, parfumé au goudron.
Dans le même ordre d’idée, l’odeur phénolée du TCP (qui est aux Anglais ce que le mercurochrome est aux Français) est une véritable madeleine de Proust. Cela a eu cet effet sur la collègue avec laquelle je partage un bureau, un jour que, soignant une coupure, je baignais dans un nuage olfactif de TCP. Ca a instantanément évoqué chez elle ses égratignures enfantines, soignées avec ce vénérable antiseptique.