Régis et moi, on a deux trois points communs. Des petites choses. Par exemple, on a tous les deux un blog. Un blog, c’est de la pensée en gratons. Les gratons, c’est un amuse-gueule lyonnais, pour les pauvres qui ne connaîtraient pas. C’est des petits morceaux de gras de porc frit. Ca croque, c’est salé, ça distrait, ça amuse la bouche. C’est pas très nutritif, les gratons, mais c’est pas le but. Les mômes adorent. Les vieux, qui ne peuvent plus trop en manger, s’en souviennent. Le graton, il sert à se rappeler qu’on a des papilles. Régis, dans son blog, il s’en donne à coeur joie. Il gratonne sec. Son dernier billet, à Régis, il s’appelle Du bon usage des catastrophes. C’est un gros graton, parce que y’a de la texture, de l’auteur et de la référence en pagaille, pour assaisonner. Et de la référence bien relevée, pas de la fade, pas de la morne, de la référence qui pique et qui acidule. Le sel, ça fait ressortir le sucre dans les biscuits et Régis, ça ne lui a pas échappé, le tour de main, le petit truc des chefs. Alors pour son graton, il combine, il oppose, il provoque. Feydeau et Lucrèce. L’Apocalypse et Christophe Barbier. Et puis, pour qu’on l’accuse de rien, de fourguer des trucs indigestes, qu’il aurait frits un peu vite dans sa friteuse en tôle étamée, il fait le modeste. Oh, j’invente rien. Oh, je suis un retraité et ce graton, c’est le graton du souvenir, celui du loisir utile, du loisir pas dupe. Bon, en même temps, c’est un peu malheureux, cette affaire, parce que les catastrophes, il y a fort à penser que c’est pas simplement un artifice rhétorique. Les catastrophes, ça existe. Ca tue des gens, ça bousille l’environnement. Alors bien sûr, y’a des affaire de posture. Régis, ça l’énerve l’Apocalypse. C’est déjà bien assez compliqué comme ça, le monde, alors si en plus on nous rajoute une couche d’apocalypse, ya basta. C’est finalement pas l’Apocalypse, qui l’énerve, qui l’éreinte, Régis, c’est ceux qui se font une profession de l’annoncer. Les prophètes. Voilà: le billet de Régis, il sert à démasquer les faux prophètes. Alors nous, on pense un peu bêtement que le prophétisme, c’était quelque chose de passé, un peu papier bible. Mais non, nous dit Régis, le prophétisme est à la mode! Surtout le faux prophétisme! Et là, subitement, Régis nous enlève les écailles des yeux. Chtoc, il fait. Le faux prophète, c’est René Girard. On se demande bien ce qui se passe, ce qu’il a bien pu faire, René Girard, pour se faire enfoncer un graton au fond du gosier, et surtout, ce qu’il a à voir avec les catastrophes. Mais c’est pas là l’important. L’important, c’est que ça fait durer le plaisir. Un graton qui dure, ça c’est nouveau, parce que le graton, il est plutôt du genre éphémère, vous voyez? Bon, on verra bien ce que ça donnera, du point de vue longévité, ce billet de 107 pages.
Du bon usage des catastrophes, de Régis Debray, est publié chez Gallimard, collection NRF.