David Delaney est un chercheur important dans le domaine « géographie et droit ». Son Race, Place and the Law (1998) analyse les mécanismes juridiques qui permettaient de produire les espaces de la ségrégation raciale aux USA. A partir de cas frappants (est-ce qu’une esclave de Louisiane accompagnant son maître à New York se trouvait de facto ou de jure libérée de l’aliénation relative à son statut, l’état de New York ne reconnaissant pas l’esclavage ?), il interroge la capacité du droit à contraindre les corps et à enrôler les espaces dans l’imposition d’un ordre socio-spatial.
Je viens de finir son dernier livre, Nomospheric Investigations. Delaney emprunte ici un chemin différent, puisqu’il ambitionne de proposer un cadre théorique robuste aux approches géo-légales. Il n’existe en effet pas véritablement de « théorie géo-légale », ce qui pourrait s’expliquer par bien des raisons. Citons-en deux : la difficulté de proposer une définition formelle ou substantielle du droit (pour ne rien dire de l’espace !), la variété des systèmes et des pratiques juridiques selon les lieux. De ce fait, les travaux de géographie du droit proposent généralement des études de cas ponctuelles analysant le rôle du droit dans des configurations socio-spatiales très déterminées. Delaney, lui, propose un cadre général, fondé sur le concept de « nomosphère » et ses déclinaisons adjectivales.
La lecture du livre n’est pas simple – pour une raison, qui elle, est simple. Pour Delaney, le droit confère un sens – meaning – aux espaces, sens ouvert aux interprétations et aux contestations. Pour cette raison, le droit entretient avec l’espace des relations dialectiques (même si Delaney n’utilise jamais le terme). Delaney est donc conduit à adopter une approche dialectique dans son exposition. Confronté à ce même problème, Jacques Lévy avait fait un choix très différent dans l’Espace légitime, puisqu’il avait opté pour un mode d’exposition très spinozien, à base d’axiomes, de lemmes et de démonstrations. Comme pour tous les ouvrages qui insistent sur la labilité intrinsèque des concepts et des définitions (au hasard : le Capital, de Marx), la lecture de Delaney n’est pas aisée. Dans les quelques billets qui suivent, je tenterai néanmoins de présenter et de commenter ses propositions théoriques.