Trois nouveaux articles

La période est faste en parutions, avec deux nouveaux papiers « nucléaire » (en attendant un nouveau gros papier plus environnemental) et un papier « oasis ».

Le premier, paru en décembre dans L’Espace Géographique, propose une interprétation géolégale de la politique française de gestion des déchets radioactifs de faible activité. L’idée que je défends est que la centralisation actuelle de la gestion de ces déchets est appuyée sur des outils juridiques peu durables, pour des raisons matérielles (saturation des sites de stockage) et financière (envolée des coûts de traitement). Voir l’article ici.

Le second, paru aujourd’hui dans EspacesTemps.net propose une analyse des débats publics autour du démantèlement de SuperPhénix. Avec Yves Le Lay, nous reprenons les concepts de controverse/polémique/conflit pour analyser la fermeture et la déconstruction de SuperPhénix. L’article est librement disponible ici.

Le troisième, écrit avec Jean-Paul Bravard, propose une réflexion un peu provocante (post-coloniale) sur les objets utilisés pour décrire la géographie tropicale – ici, en l’occurrence, le concept d’oasis, qui est tout sauf simple… Le papier se trouve ici. Il reprend les idées plus fouillées qui se trouvent dans notre grand oeuvre, « Qu’est-ce qu’une oasis? », paru dans les mélanges Dunand l’année passée.

Que dire de l’Égypte?

J’écrivais dernièrement à O. que sur le site d’El Deir, à Kharga, avec Jean-Paul Bravard, nous avions été amenés à développer une « géomorphologie historique d’insipiration deleuzienne ». C’est la stricte vérité.

Deir

El Deir est le site fascinant que nous explorons depuis 2008, dans l’ANR conduite par Gaëlle Tallet. Un peu à l’écart de l’axe principal de l’oasis, il possède des vestiges antiques puissants et rugueux. Pas d’afféteries royales ou liturgiques, mais quelques bâtiments simples, martiaux, dépouillés, abrités sous le djebel El Ghannaïm. Une grande forteresse en briques crues, datée de la fin du 2e s. AD, qui résiste tant bien que mal aux vents corrosifs venus du nord. Un temple rural dont il reste quelques bâtiments debout. Et un parcellaire agricole encore visible dans ses murets et ses élévations de pierre, dont la reconstitution a constitué un grand casse-tête. Car au Deir, la question que nous nous sommes posés, c’était « à quoi ressemblait le site à l’époque antique? ». Je me suis longtemps dit que n’étant ni géomorphologue, ni géoarchéologue, je n’étais pas le mieux placé pour faire une contribution à la compréhension du site (qui doit tant aujourd’hui à l’immense sagacité de JPB). Etrangement, c’est en cédant à ma pente naturelle — celle d’un lecteur compulsif et exhaustif — que je pense avoir contribué davantage à reconstituer l’histoire du site. Deux grands types de lectures, ami lecteur: les géographes de la fin du 19e siècle, et Gilles Deleuze… to be continued…

Since 1876

Depuis 1876, l’oasis de Kharga, où nous nous préparons à repartir, est un haut lieu de la connaissance géographique. Avec Jean-Paul, nous avons en effet pris conscience, en travaillant depuis 2008 sur le site du Deir, de la quantité de littérature géographique qui avait été consacrée à l’oasis. Des nombreuses cartes et croquis qui avaient été levés. Cette littérature, ces cartes, nous les connaissons maintenant dans leur totalité, après les avoir traquées de la bibliothèque de l’Institut (à laquelle l’extrême gentillesse de Jean-Robert Pitte m’a permis d’accéder) au cabinet des fonds anciens du Quai Branly. Comme toutes les réalités géographiques, l’oasis peut faire l’objet d’une interprétation. Comment en effet comprendre la physionomie actuelle du paysage oasien et la chronologie de sa mise en place?

Deir

 C’est tout l’enjeu du projet Oasis auquel nous participons, sous la direction de Gaëlle Tallet. Ce qui est fascinant, à la lecture de articles de géographie consacrés à la question, c’est de voir à quel point ils sont empreints d’idéologie coloniale. Dans la littérature de l’époque, les modifications de l’environnement sont directement liées à la compétence des civilisations et après l’effacement de la présence romaine, c’est l’incompétence des indigènes qui explique la déchéance de l’oasis de Kharga. Ces explications ont fait long feu et notre propos est précisément de fournir des explications alternatives, mieux fondées scientifiquement. Ce faisant, nous avons retrouvé toute une littérature oubliée qui postulait avant l’heure un changement climatique socialement signifiant. En attendant, il est toujours émouvant de trouver des figurations anciennes d’un paysage que nous connaissons par coeur. Ce qui m’intrigue, quant à moi, ce sont les trois petits bosquets devant la forteresse romaine.

Pays administratif, pays réel

Alors que nous apprêtons à repartir en Egypte à la fin de la semaine qui vient, j’ai regardé les conseils aux voyageurs de l’Ambassade de France. Le ton est étonnamment peu alarmiste et j’ai été très intéressé de trouver une représentation cartographique des recommandations. On voit que l’Egypte « recommandable » ne constitue qu’une minorité du territoire – et que nous nous dirigeons vaillamment vers la zone orange (sans que cela nous inquiète outre mesure d’ailleurs). Le triangle de Hala’ib (la zone au sud-est du pays, en hachures, à la souveraineté contestée entre l’Egypte et le Soudan) n’est pas déconseillé. Cette représentation du risque par zone est intéressante, car elle donne à penser que les aléas se déploient uniformément au sein des zones, alors que notre expérience de l’année dernière montre qu’en situation volatile, ce sont les éléments « à haute fréquence » davantage que les tendances de fond qui ont une capacité à faire déraper la situation. Nous étions bien plus en sécurité planqués à Assiout que sur la route autour de Louxor. De ce fait, quelle est ici l’échelle de la recommandation?

 

De l’importance de la sieste pour la connaissance égyptologique

Après les bonnes nouvelles de la semaine dernière (le projet Egypte a été financé par l’ANR à hauteur de 140 000 euros), j’avais envie de parfaire ma connaissance du pays contemporain et j’ai commencé à lire l’œuvre de Timothy Mitchell, qui, il faut bien le dire, a oublié d’être bête. J’ai commencé par Rule of Experts, une collection d’essais portant sur la modernisation en Egypte depuis le milieu du 19e siècle. Mes récents trajets en train (Lyon-Limoges en TER, 5 heures de paysages creusois bucoliques, j’ai même noté les gares désaffectées que l’on traversait histoire de vérifier le trajet sur Google Earth quand j’aurai le temps, c’est-à-dire jamais) favorisant et la sieste et la lecture, j’ai bien dormi et un peu avancé. Ce que j’ai lu m’a beaucoup plu. Mitchell réinterroge les pratiques et le discours de « rationalité » dont l’Egypte a fait les frais à partir de sa mise sous tutelle par les pouvoirs européens en 1882 et qui a permis l’émergence de l’ « économie nationale » comme objet et comme concept. Deux facteurs sont intervenus de manière importante dans ce processus : la maîtrise de l’eau (et en particulier, la création d’un système centralisé et permanent d’irrigation grâce aux barrages d’Assouan construits au début du 20e siècle) ; et l’émergence d’une vision cartographique de l’espace national grâce à la grande carte cadastrale de l’Egypte parue en 1909, qui modifia profondément la pratique de la taxation foncière, entre autres. Tout ça se lit comme un roman et paradoxalement, trouve des échos dans mes préoccupations actuelles sur le nucléaire, que je vais confronter à l’œil expert des physiciens nucléaires du CNRS en fin de semaine à Paris. Le seul hic, c’est que le RER B se prête moins à la sieste que les tortillards de la Creuse.

Désert…

N’est pas que le titre d’un livre surestimé du (surestimé aussi?) Le Clézio. Heureusement. C’est aussi un endroit où le regard perd ses repères coutumiers. Où la géographie, comme regard informé, trouve à s’épanouir comme nulle part ailleurs. « On dirait un manuel de géomorphologie » disait mon compagnon de baroude, dont le regard, précisément, était tellement plus informé que le mien. Les deux semaines passées à arpenter ces 25 km² de désert égyptien ont été extraordinaires. A marcher continument dans ce paysage au premier abord impénétrable, il livre peu à peu ses secrets.   Les éléments du relief se chargent de sens. Telles huîtres fossiles anecdotiques acquièrent subitement la noblesse d’un marqueur géologique fondamental. Ah, chères Exogyra Overwegi! Vous n’êtes pas que de jolis cendriers.

 

Plus sérieusement, j’ai beaucoup appris au cours de ces deux semaines. La machine à Pigs a parfaitement fonctionné et  malgré les caprices du GPS, j’envisage de  faire de la géoarchéologie mon nouveau hobby. Surtout s’il est restreint à ces paysages incroyables de l’oasis de Kharga. Et s’il se pratique au milieu d’un groupe d’archéologues formidables. Je n’ai qu’une hâte, y retourner.

En attendant, back to normal — and Yorkshire. Beaucoup de choses à faire en ce moment, notamment la préparation du  fieldwork qui s’étendra sur les prochains mois. Ca devrait être excitant, même si ce sera beaucoup moins silencieux et  beaucoup moins lumineux que les pistes du désert égyptien.

Contours

Juste une petite image pour le plaisir : une carte de courbes de niveaux extraite à partir d’un modèle numérique d’élévation SPOT qui représente le site égyptien où je pars la semaine prochaine.

 

Soif fossile

Le désert disais-je. Là, plus précisément:  25.596842°N,  30.730286°E. Ca correspond à l’emplacement d’une forteresse romaine du 3e siècle après JC, construite dans la partie est de l’oasis de Kharga, en Egypte, à 200 km à l’ouest de la vallée du Nil. Mais dans le programme de recherches auquel Gaëlle a eu la gentillesse de m’associer, la forteresse romaine n’est que le sommet émergé de l’iceberg, puisque le site en question comprend aussi des nécropoles qui sont fouillées depuis une dizaine d’années par une équipe d’archéologues et des bâtiments variés. Et aussi, des kilomètres carrés de champs abandonnés. Le mystère sur lequel je planche avec Jean-Paul a trait à l’eau, et plus exactement, à sa disparition. Selon une chronologie qui reste à préciser ont été mis en place dans cette partie de l’oasis des systèmes d’irrigation semblables à ceux qui ont été étudiés par Bernard Bousquet dans son magistral livre sur le sud del’oasis de Kharga, Tell-Douch et sa région: Géographie d’une limite de milieu à une frontière d’empire. Ces systèmes ont progressivement ont été abandonnés à mesure que la ressource fossile qu’ils exploitaient s’épuisait. A partir de -4500 BC environ, le climat de cette partie du désert Lybique connaît en effet une aridification marquée. La raréfaction des précipitations transforme les savanes sahéliennes en désert, créant les paysages que nous voyons aujourd’hui. L’irrigation à partir de l’eau accumulée dans les formations géologiques dans des périodes plus pluvieuses permet à la présence humaine de se perpétuer alors que les conditions du milieu ont radicalement changé.

Sur l’image satellite à haute résolution que l’équipe a acquise (50 cm de résolution au sol, 800 Mo!), l’étendue du parcellaire est stupéfiante et des choses assez étranges apparaissent, à la fois du côté de la géomorphologie et des systèmes techniques d’adduction d’eau. Donc, en décembre, et pour en avoir le coeur net, direction Kharga pour arpenter le désert et essayer de comprendre comment l’eau circulait il y a plus de 5000 ans. C’est un véritable plaisir que de pratiquer la géographie en équipe, de voir son efficacité pour comprendre la manière dont s’organisent les relations entre les sociétés et leur environnement et de l’utiliser pour démêler les fils de ce drame qui se joue sur plusieurs milliers d’années, de concert avec les travaux archéologiques et historiques. Et aussi de marcher dans le désert en essayant d’imaginer ce que fut cet endroit.