Lors de la royale semaine de vacances que je me suis octroyé mi-juillet dans le sud-ouest de l’Angleterre, j’ai eu l’occasion de discuter du concept de « geopiety », assez répandu en Amérique du nord. Jeff l’évoquait à propos de ses traversées motocyclistes solitaires aux USA (dites traversées « no country for the old men »), où le contact avec les lieux est intense et renforcé encore par la pratique du camping. Sous la plume de Yi-Fu Tuan, la géopiété a partie liée aux pratiques de géomancie utilisées en Orient (et ailleurs) pour sélectionner l’endroit approprié à la fondation d’une ville ou à l’implantation d’un bâtiment, voire la configuration même du bâtiment ou de l’appartement (Valérie Gelézeau a des pages extraordinaires sur la manière dont les Coréens ont réinterprété l’architecture des grands ensembles importés d’Occident dans un sens géo-pieux). Au-delà de la dimension architecturale, « geopiety » désigne aussi la relation diffuse et personnelle que les femmes et les hommes entretiennent avec des lieux particuliers, une sorte de phénoménologie de l’attachement à un endroit comme support d’une identité (les « lieux de mémoire ») et comme expérience spirituelle de la totalité, de la communion avec la nature (ou la culture), ce genre de choses. En ce sens, la géopiété ne s’exprime pas uniquement sur des lieux connus: la familiarité n’est pas une condition nécessaire de son émergence. D’autre part, la géopiété n’est pas non plus nécessairement une piété collective. L’esprit souffle peut-être sur les lieux (Barrès), mais pas nécessairement pour tout le monde. Cela dit, il est incontestable que la colline de Sion, dite « colline inspirée » est un endroit vraiment étrange. Mes souvenirs de Sion dans mon enfance lorraine se résument surtout aux « étoiles » de Sion, que nous échangions à la récré contre des billes — les « étoiles » étant des fossiles de crinoïde. Plus nets sont mes souvenirs du Mont Saint Odile, qui pour le coup, est VRAIMENT très étrange (et que les Japonais implantés en Alsace affectionnent particulièrement, d’ailleurs).
Le sud-ouest de l’Angleterre possède quelques-un de ces lieux un peu spéciaux. Je passe rapidement sur Tintagel, envahi de touristes et où « le Roi Arthur » est surtout le nom de multiples débits de cervoise tiède. En revanche, la côte du North Devon est magnifique, et les hêtres de la forêt d’Exmoor en particulier ont quelque chose d’étrange.
On s’attendrait presque à voir un hobbit faire une roulade à l’arrière-plan.