Le désert disais-je. Là, plus précisément: 25.596842°N, 30.730286°E. Ca correspond à l’emplacement d’une forteresse romaine du 3e siècle après JC, construite dans la partie est de l’oasis de Kharga, en Egypte, à 200 km à l’ouest de la vallée du Nil. Mais dans le programme de recherches auquel Gaëlle a eu la gentillesse de m’associer, la forteresse romaine n’est que le sommet émergé de l’iceberg, puisque le site en question comprend aussi des nécropoles qui sont fouillées depuis une dizaine d’années par une équipe d’archéologues et des bâtiments variés. Et aussi, des kilomètres carrés de champs abandonnés. Le mystère sur lequel je planche avec Jean-Paul a trait à l’eau, et plus exactement, à sa disparition. Selon une chronologie qui reste à préciser ont été mis en place dans cette partie de l’oasis des systèmes d’irrigation semblables à ceux qui ont été étudiés par Bernard Bousquet dans son magistral livre sur le sud del’oasis de Kharga, Tell-Douch et sa région: Géographie d’une limite de milieu à une frontière d’empire. Ces systèmes ont progressivement ont été abandonnés à mesure que la ressource fossile qu’ils exploitaient s’épuisait. A partir de -4500 BC environ, le climat de cette partie du désert Lybique connaît en effet une aridification marquée. La raréfaction des précipitations transforme les savanes sahéliennes en désert, créant les paysages que nous voyons aujourd’hui. L’irrigation à partir de l’eau accumulée dans les formations géologiques dans des périodes plus pluvieuses permet à la présence humaine de se perpétuer alors que les conditions du milieu ont radicalement changé.
Sur l’image satellite à haute résolution que l’équipe a acquise (50 cm de résolution au sol, 800 Mo!), l’étendue du parcellaire est stupéfiante et des choses assez étranges apparaissent, à la fois du côté de la géomorphologie et des systèmes techniques d’adduction d’eau. Donc, en décembre, et pour en avoir le coeur net, direction Kharga pour arpenter le désert et essayer de comprendre comment l’eau circulait il y a plus de 5000 ans. C’est un véritable plaisir que de pratiquer la géographie en équipe, de voir son efficacité pour comprendre la manière dont s’organisent les relations entre les sociétés et leur environnement et de l’utiliser pour démêler les fils de ce drame qui se joue sur plusieurs milliers d’années, de concert avec les travaux archéologiques et historiques. Et aussi de marcher dans le désert en essayant d’imaginer ce que fut cet endroit.