Lectures estivales d’agrégation

L’Afrique : du Sahel et du Sahara à la Méditerranée

On remarquera qu'en 1811, on postulait l'existence d'une immense chaîne de montagne barrant l'Afrique d'est en ouest
A New Map of Africa, John Cary, 1811

Je suis partisan, en matière d’été avant l’agrégation, de prendre de vraies vacances reposantes. Le galop de la préparation est en effet fort court et intense (septembre-février) : il importe d’arriver au concours fraîche et pleine d’allant.

Par ailleurs, il faut bien comprendre qu’une préparation efficace se fait exactement comme un coloriage où l’on doit d’abord relier des points entre eux : il est inutile de commencer à colorier avant d’avoir tracé les contours. Donc, il est inutile de se lancer dans des lectures complexes avant d’avoir balisé le champ de ce qu’il y a à savoir. Ce sera l’objet des tous premiers cours.

En revanche, pour la géographie régionale (ou des territoires), la période de l’été est utilement employée à lire des romans ou des récits qui relatent une ambiance, des préoccupations, des noms de lieux, plutôt qu’à lire de la géographie académique dont vous ne retiendrez rien. Cherchez des atmosphères plutôt que des faits. Cela vous servira.

Je vous suggère donc  une série de livres à lire sur la plage ou dans une chaise longue.

  • Boyle T.C. Water Music, Phébus, 2012 : un énorme (800 p.) récit épique sur les aventures de Mungo Park au début du 19e siècle, à la recherche du fleuve Niger.
  • Caillié, René. Voyage à Tombouctou, La Découverte, 2007 (2 tomes !).
  • Fromentin, Eugène. Un Été dans le SaharaUne Année dans le Sahel: ces textes se trouvent en poche et dans les œuvres complètes publiées en Pléïade en 1984.
  • Le Clezio, Jemia et JMG. Gens des Nuages, Flammarion, 1999. (avec des photographies. Ce livre est bien supérieur au très surfait Désert du même Le Clézio).
  • Monod, Théodore. Méharées, Actes Sud/Babel, 1998.
  • Park, Mungo. Voyage dans l’intérieur de l’Afrique, La Découverte, 2009.

Les cadrages des questions au concours se trouvent ici :

http://media.devenirenseignant.gouv.fr/file/agregation_externe/06/3/p2018_agreg_ext_geographie_741063.pdf

Bruxelles, l’atome, l’atomium

Dans le vaste amphithéâtre contemporain – du blanc, du gris, du verre, de petites touches de parme – de la DG Energie de la Commission Européenne, je suis assis parmi environ 200 personnes, un assemblage relativement homogène de cinquantenaires grisonnants, habillés en gris. Avec mon pull framboise et ma « coupe de Zlatan » comme disaient les lycéens des Rencontres Jeunes Sciences Citoyens du CNRS, je détonne un peu. Nous sommes là pour un symposium, « benefits and limitations of nuclear fission for a low-carbon economy ». En dehors de la salle de conférences, des piles et des piles de rapports, de brochures, de livrets, une information considérable, d’une valeur scientifique incertaine. Des pages noircies, des diagrammes complexes, des listes de choses, des bullet points à gogo. Pour pas grand’chose. Cette information profuse n’est pas un outil. Je ne sais pas à qui elle sert vraiment, quel est son public. C’est d’autant plus troublant que dans mon expérience, la production de discours, de doctrine, d’éléments de langage public à propos du nucléaire contribue à cadrer les questions posables, à dire a priori ce qui participe et ce qui ne participe pas au « nucléaire » comme catégorie de la pensée, domaine de la connaissance et champ d’intervention public. Que de fois n’a-t-on pas entendu « notre réponse à votre question est dans notre rapport d’activité/ dans cette brochure » ou de plus en plus « sur notre site web ». Si la réponse n’y est pas (comme c’est souvent le cas), cela veut dire que la question n’est pas posable. Autre remarque: parmi les chercheurs présents, la plupart des spécialistes de SHS sont des technico-économistes, qui ne font donc par définition pas de terrain. Et n’en voient en outre pas vraiment la pertinence.

L’obsession française

Un article du Guardian, ce matin, m’a fait sourire. Il existe dans le monde anglophone tout un genre de littérature vouée à un but unique: élucider le fond du fond de la psyché française. Et plus spécifiquement, de la femme française. Dans le désordre, on lira avec profit:  French women don’t get fat, How To Dress Like A French Woman, What French Women Know: About Love, Sex, and Other Matters of the Heart and Mind, All You Need to Be Impossibly French, French Women Don’t Sleep Alone, French Women for All Seasons, Entre Nous: A Woman’s Guide to Finding Her Inner French Girl. Les hommes français sont moins populaires. Ils font les méchants et les escrocs dans le genre très nourri des « expériences de vie » en France, écrites par des expatriés, des retraités ou des jeunes Américains « on their European journey of spiritual growth », selon l’expression très juste de mon ami Shane. En France, la vie quotidienne est toujours exotique, incongrue, irrationnelle, les codes sociaux en vigueur dans les pays anglophones (pour autant qu’on puisse généraliser) n’ont plus cours, mais la nourriture est toujours excellente et c’est bien connu, tout finit toujours par des chansons. Le plus connu, le modèle du genre est bien sûr A year in Provence de Peter Mayle (et ses suites) et le fameux A year in the merde de Stephen Clarke.

L’article du Guardian faisait un compte-rendu d’un nouveau front dans ce champ déjà nourri: le French parenting. Là, le précédent est plutôt chinois, avec le succès bizarre en 2010 de Battle Hymn of the Tiger Mother, d’Amy Chua, qui expliquait que les Américains ne savaient pas éduquer leurs enfants. Le secret de la réussite éducative chinoise? Exiger toujours plus de ses enfants et être avare de compliments. D’après ce qu’on peut juger du livre, on retrouve un peu cette thématique chez Pamela Druckermann, French children don’t throw food. Le coeur de la méthode éducative française? « Apprendre à ses enfants à vivre avec leurs frustrations ». J’ai hâte de regarder ce nouvel opus.

Régis et moi

Régis et moi, on a deux trois points communs. Des petites choses. Par exemple, on a tous les deux un blog. Un blog, c’est de la pensée en gratons. Les gratons, c’est un amuse-gueule lyonnais, pour les pauvres qui ne connaîtraient pas. C’est des petits morceaux de gras de porc frit. Ca croque, c’est salé, ça distrait, ça amuse la bouche. C’est pas très nutritif, les gratons, mais c’est pas le but. Les mômes adorent. Les vieux, qui ne peuvent plus trop en manger, s’en souviennent. Le graton, il sert à se rappeler qu’on a des papilles. Régis, dans son blog, il s’en donne à coeur joie. Il gratonne sec. Son dernier billet, à Régis, il s’appelle Du bon usage des catastrophes. C’est un gros graton, parce que y’a de la texture, de l’auteur et de la référence en pagaille, pour assaisonner. Et de la référence bien relevée, pas de la fade, pas de la morne, de la référence qui pique et qui acidule. Le sel, ça fait ressortir le sucre dans les biscuits et Régis, ça ne lui a pas échappé, le tour de main, le petit truc des chefs. Alors pour son graton, il combine, il oppose, il provoque. Feydeau et Lucrèce. L’Apocalypse et Christophe Barbier. Et puis, pour qu’on l’accuse de rien, de fourguer des trucs indigestes, qu’il aurait frits un peu vite dans sa friteuse en tôle étamée, il fait le modeste. Oh, j’invente rien. Oh, je suis un retraité et ce graton, c’est le graton du souvenir, celui du loisir utile, du loisir pas dupe. Bon, en même temps, c’est un peu malheureux, cette affaire, parce que les catastrophes, il y a fort à penser que c’est pas simplement un artifice rhétorique. Les catastrophes, ça existe. Ca tue des gens, ça bousille l’environnement. Alors bien sûr, y’a des affaire de posture. Régis, ça l’énerve l’Apocalypse. C’est déjà bien assez compliqué comme ça, le monde, alors si en plus on nous rajoute une couche d’apocalypse, ya basta. C’est finalement pas l’Apocalypse, qui l’énerve, qui l’éreinte, Régis, c’est ceux qui se font une profession de l’annoncer. Les prophètes. Voilà: le billet de Régis, il sert à démasquer les faux prophètes. Alors nous, on pense un peu bêtement que le prophétisme, c’était quelque chose de passé, un peu papier bible. Mais non, nous dit Régis, le prophétisme est à la mode! Surtout le faux prophétisme! Et là, subitement, Régis nous enlève les écailles des yeux. Chtoc, il fait. Le faux prophète, c’est René Girard. On se demande bien ce qui se passe, ce qu’il a bien pu faire, René Girard, pour se faire enfoncer un graton au fond du gosier, et surtout, ce qu’il a à voir avec les catastrophes. Mais c’est pas là l’important. L’important, c’est que ça fait durer le plaisir. Un graton qui dure, ça c’est nouveau, parce que le graton, il est plutôt du genre éphémère, vous voyez? Bon, on verra bien ce que ça donnera, du point de vue longévité, ce billet de 107 pages.

Du bon usage des catastrophes, de Régis Debray, est publié chez Gallimard, collection NRF.

De l’été qui approche entre autres choses

Le moins que l’on puisse dire, c’est que le printemps a été tonique. Il est un peu illusoire de vouloir ici donner un compte-rendu exact de la totalité de ces choses vues, dites et faites – disons pour faire court que l’issue de tout cela est positive, puisque j’ai été élu sur un poste de maître de conférences à l’ENS de Lyon. Je suis ravi et peux maintenant prendre un peu de distance face à la logique du processus de recrutement.
L’expérience de cette campagne corrobore celle des campagnes passées, celle de tous mes camarades et les analyses d’Eric Maurin aussi: le statut très protecteur de la fonction publique agit comme une barrière pour les nouveaux entrants et le marché du travail est structuré de manière si favorable aux recruteurs que les candidats sont pour ainsi dire à la merci du moindre caprice des commissions. Je crois être devenu, au fil des quatre campagnes que j’ai faites, le meilleur faire valoir de France. L’expérience d’être convoqué à mes frais à Dijon (par exemple) simplement pour donner de la crédibilité à un processus de recrutement déjà clos est tout-à-fait inoubliable. Je souscris à l’initiative de V., qu’il a suggéré avec succès dans son département, de prendre en charge les frais des candidats, ce qui semble la moindre des choses. On s’épargnera ainsi, comme à Lille il y a trois ans, de se retrouver à 11 convoqués à la même heure sur un poste acquis déjà au candidat local. Dans mes projets de début d’année: suggérer la création par le CNFG d’un wiki auditions. Et aussi, on a parallel track, la constitution d’un fichier des Masters de géographie avec leur classement par l’AERES: il me semblerait naturel que les étudiants qui songent à poursuivre leur cursus puissent savoir où ils devraient aller. Et à part ça, le vue sur le Tarn depuis le pont de Gaillac est magnifique.

De la matérialité en période de fêtes

La fin de l’année est assez intense, je dois dire, à jongler sans rien faire tomber avec les balles de mes vies parallèles.  L’important est d’apprendre non pas la coordination, mais les différences de hauteur entre les balles — envoyer celle là plus haut pour se laisser le temps de relancer cette autre, plus proche. Entre le jonglage, ou peut-être au milieu, je m’emploie à lire abondamment — j’ai fini le gros pavé de Descola, « Entre Nature et Culture », que je m’étais promis de lire depuis longtemps.  Je lis beaucoup de Latour, que j’apprécie de plus en plus (et que j’ai trouvé très agréable et stimulant à écouter il y a deux semaines); et beaucoup de Callon, dont la langue est moins fleurie, moin sémillante, mais les préoccupations peut-être davantage proches des miennes. J’ai fini dans le train hier le bouquin de Souriau auquel Latour fait maintenant sans cesse référence (au point d’en susciter une nouvelle édition, plus de 65 ans après la première). J’ai repris le bouquin de Daniel Miller sur la matérialité et je m’emploie à lire autour, pour couvrir un peu mieux théoriquement le thème complexe de la matérialité en sciences sociales.
Ah, la matérialité! Sans entrer dans les détails de ses méandres académiques, il est intéressant de constater qu’elle constitue aujourd’hui une donnée stratégique dans les luttes intradisciplinaires — cf. les appels en géographie anglosaxonne à « rematérialiser » les débats après le « cultural turn », et la réaction assez violente de ceux qui se sentent menacés par cette évolution — John Wylie par exemple. Je n’interprète pas autrement le bizarre article d’Environment and Planning A qui ressemble à un cri désespéré, à un « Non, je ne suis pas nu! Non, je ne suis pas mort », hugolien dans son écho caverneux et ses promesses d’apocalypse. En même temps, et c’est comme cela que s’explique ma stratégie de lecture, cher et hypothétique lecteur, l’approche de la matérialité en géographie anglosaxonne ne me convainc pas, parce qu’elle fait bon marché des médiations. Tout se passe comme si l’agency des matières (pour reprendre le concept toujours controversé d’Andrew Pickering) s’exprimait de manière isotopique, sans considération pour les dispositifs de prise en charge qui non seulement tentent de les réguler, mais qui d’une certaine manière, sont des conditions de possibilités de l’expression de l’agency des matières elle-même. Le risque est d’aboutir, comme me le confiait un célèbre universitaire britannique à l’issue d’un séminaire l’année dernière à Londres où nous nous étions retrouvés à quelques-uns à finir une méchante bouteille de blanc sicilien en face du mémorial à Albert, trainés là par cet éminent collègue qui proclamait son amour sans partage pour ce monument kitsch, le risque donc est d’aboutir à refétichiser les matières et les objets.


Cela dit et ce sera ma conclusion, je vais re-réfléchir au fétichisme des objets et des matières: car j’écris ce billet de mon lit, en me remettant de l’attaque d’une huître sournoise, qui a fait fort de me rappeler que le constructivisme social s’arrête avec la chaîne du froid.

Paris, Paris

I realize in horror that I have not posted anything for several months… Blogging time is no regular time (it seems like I blogged only yesterday) and it can give the false impression that nothing has been happening at all. Quite the opposite, I would say, as in the last few months, I have relocated from Sheffield to Paris (and in the process got the whole deposit for my apartment refunded, something you have to give credit to British letting agents for, as it would NEVER EVER EVER happen in France), started a new job I won’t dwell upon but that keeps me busy and interested, continued writing papers on my English research and, together with friends and colleagues, started a new, exciting research project called Cat_Mat. The only bad thing about this project is that the English acronym does not sound so great. I suspect quite a few people will be lost in translation.

January will bring, hopefully, a few changes to this blog: maybe a few more photographs of Egypt, where we’re heading again; and a new, strong New Year’s resolution of blogging more regularly. I wish.

Où on reparle du lithium

Décidément, entre l’offensive des voitures électriques au Salon de Francfort et les projets d’exploitation en Bolivie, le lithium, déja plusieurs fois évoqué dans ce blog, a la cote… Mon silence radio s’explique par l’accumulation des deadlines et la préparation de mon retour à Paris cet automne. On a déjà l’impression d’être en novembre, dans le Yorkshire, et les retrouvailles avec les terrasses parisiennes chauffées au gaz sera un plaisir coupable.