Wizzzzzzzzz…. fait l’oiseau mouche

A regarder par la fenêtre les oiseaux mouches qui passent en trombe devant la fenêtre dans la lumière dorée d’une fin de journée dans le désert du Sonora, on en arriverait presque à oublier les montagnes de travail qui attendent. Elles se font fort, cependant, de se rappeler à ma mémoire et le congrès des géographes américains la semaine dernière à Las Vegas n’aura été qu’une parenthèse, au demeurant plutôt studieuse. J’ai beaucoup aimé l’ambiance générale du congrès. Même si le lieu, un hôtel-casino vieillissant au nord de Las Vegas Boulevard, n’était pas le plus agréable qui soit, les communications que j’ai entendues étaient intéressantes, voire très bonnes. Mike faisait un distinguo subtil entre une conference et un meeting – la différence entre les deux étant que dans ce dernier cas, les propositions de communication ne sont pas triées par un comité scientifique. En gros, vient et parle qui veut, dans la mesure où il/elle montre patte blanche. Le résultat peut être apocalyptique, bien sûr, mais je n’ai aucune raison de me plaindre ou de ricaner de ce que j’ai vu. Peut-être aurais-je des raisons de ricaner de ce que je n’ai pas vu. Par exemple “A Place called Enteria : The Gastro-geopolitics of the colon”. Dans le programme, c’est le titre le plus curieux qu’il m’ait été donné de voir mais d’autres pépites se cachent peut-être dans cet épais volume.

Après un papier sur la Moselle donné hier en séminaire à l’Université d’Arizona (interesting conflation of places) à l’invitation d’Agathe, je suis de retour… à la Moselle pour finir un article promis à Nicolas. C’est avec grand plaisir que je retrouve les questions d’eau qui m’ont occupé quelques années et qui trouvent dans le sud-ouest américain une résonance particulière. La visite du Hoover Dam (et le niveau si bas du Lac Mead: PIG), les controverses autour de l’irrigation urbaine dans l’Arizona, la vision des rivières asséchées du centre de Tucson, tout cela donne une consistance concrète aux questions de pénurie qui m’occupent actuellement. Et je réfléchis au mot de Michel Serres, qui explique que la pollution est une forme de prise de possession.

La semaine prochaine se passera dans l’Utah, sur des questions de déchets nucléaires. Je sens que je vais rentrer dans un monde parallèle. Comme le dit le Lonely Planet, « go to Temple Square on a night when there are few visitors and you may feel in danger to be nice-d to death ».

… on continue

Dans le Times Higer Education d’aujourd’hui, des chiffres intéressants sur la rémunération des enseignants d’université en Grande-Bretagne. On apprend que le salaire brut moyen d’un enseignant britannique est de £43 486, soit environ €46 000. Un maître de conférences gagne en moyenne €40 300. Ces chiffres sont significativement supérieurs aux rémunérations françaises, comme le fait valoir Arthur Charpentier sur son blog.

Intéressant aussi ce tableau des rémunérations des présidents d’université. Le président de University College à Londres gagne plus de £295 000 par an, soit plus de €310 000… La 5e position (enviable?) du président de Sheffield a fait l’objet d’une demande de rectification de la part de l’université. En effet, la somme de £298 000 indiquée inclut la rémunération du président précédent pendant la passation de pouvoir et le salaire du président n’est donc que de £191 000 (mais n’inclut pas le logement de fonction dont il bénéficie). Je me demande si la rémunération des présidents fait l’objet de dispositions spécifiques dans la loi LRU?

Je dois dire que ces rémunérations ne me choquent pas plus que ça, d’autres professions utiles ayant bénéficié de revalorisations salariales importantes dans les années récentes (notamment les médecins généralistes). J’y vois surtout une forme de reconnaissance financière de l’importance sociale, culturelle et économique de l’institution universitaire.

J’aurai certainement l’occasion de discuter de ces questions avec tous les excellents collègues anglo-saxons que je vais rencontrer au congrès de l’association des géographes américains où je m’envole demain. Ambiance David Lodge à Las Vegas, ça promet!

Agitation…

On reparle de la question des droits d’inscriptions universitaires dans les nouvelles aujourd’hui, de ce côté de la Manche. Les présidents d’université, consultés anonymement par la BBC, voudraient pouvoir faire passer les frais d’inscriptions en licence à un minimum de £5000 et jusqu’à un maximum de … £20 000 pour certains (suivez mon regard… London School of Economics, au hasard?). Il faut savoir, par ailleurs, que les frais d’inscription en Master sont libres ici. Ce qui explique que certaines universités scientifiques ou de gestion (Imperial College ou LSE) n’hésitent pas à facturer plus de £10000 par an. Si je suis sensible à l’argument que les universités ont besoin d’argent, je reste un peu stupéfait devant l’ampleur des sommes invoquées et réticent devant les implications politiques que présente le fait de commencer une carrière avec des dettes astronomiques. Joli moyen de contrôle social sur la jeunesse… Ca va faire de sacrés moutons.

En Grande-Bretagne, on peut faire un parallèle éclairant entre le fonctionnement de l’université et le fonctionnement du … métro de Londres. Le métro londonien est extrêmement cher (jusqu’à £5 pour un aller simple dans Londres!) et ne propose pas de système forfaitaire comme la carte Orange à Paris. Le coût du système est donc intégralement supporté par les usagers, ce qui ne suffit pas à dégager des sommes nécessaires à l’entretien du système, grevé de pannes et de retards. A Paris, la carte Orange est largement subventionnée, ce qui permet d’avoir un système de transport (relativement) plus efficace qui favorise la productivité des entreprises de la région parisienne. En d’autres termes, la subvention aux transports permet des gains collectifs importants, qui excèdent le montant de la subvention. Pourquoi ne pourrait-on pas raisonner en ces termes pour l’université? Pourquoi nécessairement raisonner au niveau individuel?

 

Financement de l’enseignement supérieur

Je lis ce matin sur le blog de Sylvestre Huet un billet sur un projet de loi déposé par des députés UMP visant à créer des prêts étudiants garantis par l’Etat — ce qui permettrait, dans l’esprit du projet, aux universités d’augmenter leurs frais d’inscription et ainsi, de responsabiliser tout le monde, étudiants comme enseignants. Le système est inspiré de ce qui se fait en Australie, en Nouvelle-Zélande et au Royaume-Uni.

J’ai deux petits commentaires sur le fond, à partir de l’expérience britannique.

En Angleterre, l’argent est prêté PAR l’Etat britannique. Plafonné à £9700/an (3200 pour les frais d’inscription et environ 6500 pour les dépenses courantes), le prêt est remboursable à partir du moment où l’étudiant commence à gagner £15000 par an. Le taux d’intérêt sur le prêt est limité au taux d’inflation: c’est donc effectivement un prêt à taux zéro. Et le type qui rembourse le fait à hauteur de 9% de son revenu. Voilà pour le système. Mais je pose deux questions innocentes…

1. D’après l’organisme qui gère le système de prêts, l’encours de la dette des étudiants était de 21 milliards de livres en 2007-2008, soit 4 ans après le démarrage du système. Seuls 62% des gens avaient commencé à rembourser, et ce avant le déclenchement de la crise financière. Question: est-ce l’Etat « en faillite » (Fillon) qui va avancer cet argent, à taux zéro? La formulation ambiguë « prêt GARANTI PAR l’Etat » du projet de loi français laisse plutôt à penser que ce sont nos valeureuses banques qui vont faire les prêts… auquel cas, je me demande bien à quel taux. Plutôt que d’engraisser ainsi les banques (avec un risque 0 pour elles), ne vaudrait-il pas mieux donner aux universités les moyens de travailler directement, en les refinançant réellement? Pour avoir travaillé dans la système français, j’ai des souvenirs cuisants de la pénurie constante à laquelle nous devions faire face (« non, les photocopies, ce n’est pas possible pour le moment, on n’a plus d’argent pour le papier »).

2. Deuxième question innocente: depuis le début des années 2000, les universités britanniques ont été autorisées à augmenter leurs droits d’inscriptions jusqu’à un maximum annuel, fixé par l’Etat (aujourd’hui £3200). Le projet était d’enlever ce plafonnement en 2010 — et de voir en conséquence les frais s’envoler (on parle ici de plus de £10000/an pour les très grandes universités). Auquel cas, le montant des prêts d’Etat va s’envoler, sans nécessairement que cet argent soit bien employé (puisqu’il ne s’accompagne pas d’une obligation de réforme structurelle de l’organisation même des universités, ni d’un cahier des charges clair).

Ce projet semble avoir pour but de pressurer l’enseignement supérieur en lui imposant une « obligation implicite d’efficacité » (p.3 du projet), sans poser la question de la responsabilité des employeurs dans l’insertion professionnelle des étudiants, ni de la responsabilité de l’Etat dans le sous-financement ahurissant des universités françaises, qui se manifeste dans des locaux dégradés, des charges administratives démentielles pour le personnel enseignant et une désorganisation générale de l’institution.