Décidément, entre l’offensive des voitures électriques au Salon de Francfort et les projets d’exploitation en Bolivie, le lithium, déja plusieurs fois évoqué dans ce blog, a la cote… Mon silence radio s’explique par l’accumulation des deadlines et la préparation de mon retour à Paris cet automne. On a déjà l’impression d’être en novembre, dans le Yorkshire, et les retrouvailles avec les terrasses parisiennes chauffées au gaz sera un plaisir coupable.
De l’importance de la sieste pour la connaissance égyptologique
Après les bonnes nouvelles de la semaine dernière (le projet Egypte a été financé par l’ANR à hauteur de 140 000 euros), j’avais envie de parfaire ma connaissance du pays contemporain et j’ai commencé à lire l’œuvre de Timothy Mitchell, qui, il faut bien le dire, a oublié d’être bête. J’ai commencé par Rule of Experts, une collection d’essais portant sur la modernisation en Egypte depuis le milieu du 19e siècle. Mes récents trajets en train (Lyon-Limoges en TER, 5 heures de paysages creusois bucoliques, j’ai même noté les gares désaffectées que l’on traversait histoire de vérifier le trajet sur Google Earth quand j’aurai le temps, c’est-à-dire jamais) favorisant et la sieste et la lecture, j’ai bien dormi et un peu avancé. Ce que j’ai lu m’a beaucoup plu. Mitchell réinterroge les pratiques et le discours de « rationalité » dont l’Egypte a fait les frais à partir de sa mise sous tutelle par les pouvoirs européens en 1882 et qui a permis l’émergence de l’ « économie nationale » comme objet et comme concept. Deux facteurs sont intervenus de manière importante dans ce processus : la maîtrise de l’eau (et en particulier, la création d’un système centralisé et permanent d’irrigation grâce aux barrages d’Assouan construits au début du 20e siècle) ; et l’émergence d’une vision cartographique de l’espace national grâce à la grande carte cadastrale de l’Egypte parue en 1909, qui modifia profondément la pratique de la taxation foncière, entre autres. Tout ça se lit comme un roman et paradoxalement, trouve des échos dans mes préoccupations actuelles sur le nucléaire, que je vais confronter à l’œil expert des physiciens nucléaires du CNRS en fin de semaine à Paris. Le seul hic, c’est que le RER B se prête moins à la sieste que les tortillards de la Creuse.
Elections
Je suis allé voter aux Européennes aujourd’hui. Je m’étais inscrit sur les listes en octobre dernier et c’est la première occasion qui m’est donnée d’exercer mon droit de vote d’expatrié européen.
C’était très dépaysant. D’abord, il n’y avait pas un chat, les deux assesseurs avaient l’air de s’ennuyer ferme. On m’a simplement donné une grande feuille jaune à cocher, avec les noms de toutes les listes (une quinzaine), que je suis ensuite allé fourrer dans l’urne tout seul comme un grand. Même pas de « a voté » cérémonieux. Ensuite, on ne m’a demandé aucune pièce d’identité, et pour cause, elles n’existent pas dans le pays. J’avais simplement emmené la petite carte postale reçue par la poste (elle n’est même pas obligatoire pour voter). Par mesure de prudence, j’avais quand même emmené et mon passeport et ma dernière facture d’eau, mais les deux étaient superflus. Je reste pantois devant ce que cela signifie en matière d’usurpation d’identité. Il est plus difficile de louer une voiture que de voter dans ce pays. Enfin, dernier aspect et pas des moindres, le bureau de vote était situé dans l’église pentecôtiste sise en face de chez moi. Il n’y avait pas les grands chants pleins de ferveur du dimanche matin tôt, mais je me disais que ça ferait un beau barouf en France si une église servait de bureau de vote. Bizarrement, pas d’estimations dans les journaux…probablement en attendant les résultats dans les autres pays dimanche.
Pénurie
La réflexion sur la pénurie et la rareté revient en force en ces temps économiques troublés… J’ai mis en ligne un article soumis à Géocarrefour sur la question de la pénurie en eau. Il est téléchargeable sur HAL et ne demande qu’à bénéficier des commentaires avertis des lecteurs de ce blog!
Nature and al.
Une petite semaine depuis le dernier billet et me voici de retour à Las Vegas en attendant de repartir demain pour l’Angleterre. Le plaisir de la découverte est passé et j’ai choisi de m’éloigner du Strip plein de visiteurs, de bruit et de fureur en ce week-end de Pâques. J’ai pris résidence downtown, où le public est différent, plus populaire, plus gros, plus mélangé. Hier soir, des hommes sandwich appellaient la foule à quitter le jeu pour revenir vers Jésus. Ce matin, alors que je buvais un café dehors (une rareté à Las Vegas), un type sans âge, en costume, peut-être ivre, est venu me saluer en m’expliquant être un ange.
A Las Vegas, les parcs naturels du sud de l’Utah que j’ai explorés en début de semaine semblent loin déjà. Je n’ai eu le temps, en posant trois jours de vacances, que de parcourir certains d’entre eux mais les paysages complètement cosmiques valaient bien les 1000 miles de trajet à travers le désert. L’usage qui est fait des parcs est étrange, dans la mesure où la conservation à l’américaine implique une mise en spectacle qui fait une large part à la voiture. Le parc d’Arches, un des plus fameux, pousse cette mise en automobile à un paroxysme et il est difficile de s’éloigner des foules pour profiter du paysage. Je me souviens avoir lu il y a quelques années un bon livre sur Yellowstone (« Playing God in Yellowstone ») par Alston Chase qui illustrait la tension extrême qui parcourait la régulation de la nature dans le parc. Jusque dans les années 1960-1970, les rangers distinguaient entre bonnes et mauvaises espèces pour justifier leurs pratiques de régulation de la faune. Dommage pour les loups, qui ont fait l’objet d’une destruction organisée jusqu’à leur extinction en 1935. Réintroduits depuis, les loups font partie comme en France d’un jeu complexe entre les acteurs sociaux pour déterminer la « Nature optimale », au milieu des incertitudes pesant sur le rôle des paramètres naturels et anthropiques dans l’évolution des écosystèmes. Plus récemment, Paul Robbins a conduit une analyse intéressante de la question de l’élan dans le nord du Yellowstone, « The politics of barstool biology », parue en 2006 dans Geoforum. Il montre que les divergences de vues qui s’expriment à propos des outils destinés à gérer la nature (et en particulier la population d’élans) ne suivent pas strictement des lignes de fracture entre environnementalistes et fonctionnalistes ou entre locaux et néoruraux, mais plutôt des lignes de classe entre prolétaires et bourgeois (si si).
Je ne sais pas comment ces tensions s’expriment dans le cas des parcs du sud de l’Utah, où la contemplation des paysages compte davantage que l’observation de la faune sauvage. Mais plutôt qu’Arches, je recommanderais la visite du parc voisin et beaucoup moins fréquenté de Canyonlands où le regard est saisi par l’ampleur des paysages du haut plateau du Colorado.
7 ans après les Jeux, il neige encore
Les colibris ont disparu, laissant la place à d’épais flocons et à une cohorte de mormons. Il faut dire que je me trouve à Salt Lake City pile au moment de la convention annuelle de l’Eglise des Saints des Derniers Jours. Fidèles à leur réputation, les mormons sont d’une très grande gentillesse et il y a toujours une bonne âme pour tout vous expliquer, par exemple que SLC accueille ce week-end 60000 visiteurs attirés par la convention. Par curiosité, je suis allé voir les visitors’ centers de Temple square (le temple lui-même ne se visite pas). L’ordinateur qui promettait de tout me révéler sur mes origines familiales ne marchait pas. Il m’est revenu en tête que les mormons conduisaient une compilation de l’état-civil du monde entier. Les archivistes français les détestent, pour la bonne raison que tout généalogiste est une engeance démoniaque aux yeux des archivistes français. Ca m’aurait amusé de savoir si, comme le dit la doxa familiale, les Garcier viennent d’un village aujourd’hui noyé sous les eaux du barrage de Serre-Ponçon. C’aurait été encore une conflation étrange, Barcelonnette et Salt Lake City.
De dépit, je me suis rabattu sur les reconstitutions de scènes de la Bible et du Livre de Mormon, peuplées de mannequins. L’accoutrement des personnages américains était vraiment bizarre et il m’a fait penser, impie que je suis, à un épisode pilote de Xénia Princesse Rebelle. Pour les costumes et les visages (très caucasiens), parce que sinon, ni les femmes ni les Indiens n’ont de postes à responsabilité dans la geste mormone ou dans la politique actuelle de la LDS. L’aréopage des chefs (les douze apôtres et le triumvirat présidentiel) est très blanc, très mâle et très vieux. Comme au Vatican.
La ville elle-même est surprenante. Je suis resté dans le centre, pas très étendu, très propre, très vide. Des mendiants sans âge, tous blancs, demandent l’aumône sans grande conviction. Le site est magnifique et je me suis juré d’emmener la machine à PIGs lorsque je repasserai ici en fin de semaine, en espérant pouvoir capturer la lumière incroyable du coucher de soleil sur les montagnes enneigées qui entourent la ville.
Update: de retour à SLC, les flocons avaient disparu et la lumière blanche ne favorisait pas la photographie urbaine. Alors, je me suis contenté de faire une PIG du centre ville, montrant les bureaux vides à louer, la skyline assez modeste et la statue de « la ronde de la joie de la famille mormone ».
Wizzzzzzzzz…. fait l’oiseau mouche
A regarder par la fenêtre les oiseaux mouches qui passent en trombe devant la fenêtre dans la lumière dorée d’une fin de journée dans le désert du Sonora, on en arriverait presque à oublier les montagnes de travail qui attendent. Elles se font fort, cependant, de se rappeler à ma mémoire et le congrès des géographes américains la semaine dernière à Las Vegas n’aura été qu’une parenthèse, au demeurant plutôt studieuse. J’ai beaucoup aimé l’ambiance générale du congrès. Même si le lieu, un hôtel-casino vieillissant au nord de Las Vegas Boulevard, n’était pas le plus agréable qui soit, les communications que j’ai entendues étaient intéressantes, voire très bonnes. Mike faisait un distinguo subtil entre une conference et un meeting – la différence entre les deux étant que dans ce dernier cas, les propositions de communication ne sont pas triées par un comité scientifique. En gros, vient et parle qui veut, dans la mesure où il/elle montre patte blanche. Le résultat peut être apocalyptique, bien sûr, mais je n’ai aucune raison de me plaindre ou de ricaner de ce que j’ai vu. Peut-être aurais-je des raisons de ricaner de ce que je n’ai pas vu. Par exemple “A Place called Enteria : The Gastro-geopolitics of the colon”. Dans le programme, c’est le titre le plus curieux qu’il m’ait été donné de voir mais d’autres pépites se cachent peut-être dans cet épais volume.
Après un papier sur la Moselle donné hier en séminaire à l’Université d’Arizona (interesting conflation of places) à l’invitation d’Agathe, je suis de retour… à la Moselle pour finir un article promis à Nicolas. C’est avec grand plaisir que je retrouve les questions d’eau qui m’ont occupé quelques années et qui trouvent dans le sud-ouest américain une résonance particulière. La visite du Hoover Dam (et le niveau si bas du Lac Mead: PIG), les controverses autour de l’irrigation urbaine dans l’Arizona, la vision des rivières asséchées du centre de Tucson, tout cela donne une consistance concrète aux questions de pénurie qui m’occupent actuellement. Et je réfléchis au mot de Michel Serres, qui explique que la pollution est une forme de prise de possession.
La semaine prochaine se passera dans l’Utah, sur des questions de déchets nucléaires. Je sens que je vais rentrer dans un monde parallèle. Comme le dit le Lonely Planet, « go to Temple Square on a night when there are few visitors and you may feel in danger to be nice-d to death ».
… on continue
Dans le Times Higer Education d’aujourd’hui, des chiffres intéressants sur la rémunération des enseignants d’université en Grande-Bretagne. On apprend que le salaire brut moyen d’un enseignant britannique est de £43 486, soit environ €46 000. Un maître de conférences gagne en moyenne €40 300. Ces chiffres sont significativement supérieurs aux rémunérations françaises, comme le fait valoir Arthur Charpentier sur son blog.
Intéressant aussi ce tableau des rémunérations des présidents d’université. Le président de University College à Londres gagne plus de £295 000 par an, soit plus de €310 000… La 5e position (enviable?) du président de Sheffield a fait l’objet d’une demande de rectification de la part de l’université. En effet, la somme de £298 000 indiquée inclut la rémunération du président précédent pendant la passation de pouvoir et le salaire du président n’est donc que de £191 000 (mais n’inclut pas le logement de fonction dont il bénéficie). Je me demande si la rémunération des présidents fait l’objet de dispositions spécifiques dans la loi LRU?
Je dois dire que ces rémunérations ne me choquent pas plus que ça, d’autres professions utiles ayant bénéficié de revalorisations salariales importantes dans les années récentes (notamment les médecins généralistes). J’y vois surtout une forme de reconnaissance financière de l’importance sociale, culturelle et économique de l’institution universitaire.
J’aurai certainement l’occasion de discuter de ces questions avec tous les excellents collègues anglo-saxons que je vais rencontrer au congrès de l’association des géographes américains où je m’envole demain. Ambiance David Lodge à Las Vegas, ça promet!
Agitation…
On reparle de la question des droits d’inscriptions universitaires dans les nouvelles aujourd’hui, de ce côté de la Manche. Les présidents d’université, consultés anonymement par la BBC, voudraient pouvoir faire passer les frais d’inscriptions en licence à un minimum de £5000 et jusqu’à un maximum de … £20 000 pour certains (suivez mon regard… London School of Economics, au hasard?). Il faut savoir, par ailleurs, que les frais d’inscription en Master sont libres ici. Ce qui explique que certaines universités scientifiques ou de gestion (Imperial College ou LSE) n’hésitent pas à facturer plus de £10000 par an. Si je suis sensible à l’argument que les universités ont besoin d’argent, je reste un peu stupéfait devant l’ampleur des sommes invoquées et réticent devant les implications politiques que présente le fait de commencer une carrière avec des dettes astronomiques. Joli moyen de contrôle social sur la jeunesse… Ca va faire de sacrés moutons.
En Grande-Bretagne, on peut faire un parallèle éclairant entre le fonctionnement de l’université et le fonctionnement du … métro de Londres. Le métro londonien est extrêmement cher (jusqu’à £5 pour un aller simple dans Londres!) et ne propose pas de système forfaitaire comme la carte Orange à Paris. Le coût du système est donc intégralement supporté par les usagers, ce qui ne suffit pas à dégager des sommes nécessaires à l’entretien du système, grevé de pannes et de retards. A Paris, la carte Orange est largement subventionnée, ce qui permet d’avoir un système de transport (relativement) plus efficace qui favorise la productivité des entreprises de la région parisienne. En d’autres termes, la subvention aux transports permet des gains collectifs importants, qui excèdent le montant de la subvention. Pourquoi ne pourrait-on pas raisonner en ces termes pour l’université? Pourquoi nécessairement raisonner au niveau individuel?
Financement de l’enseignement supérieur
Je lis ce matin sur le blog de Sylvestre Huet un billet sur un projet de loi déposé par des députés UMP visant à créer des prêts étudiants garantis par l’Etat — ce qui permettrait, dans l’esprit du projet, aux universités d’augmenter leurs frais d’inscription et ainsi, de responsabiliser tout le monde, étudiants comme enseignants. Le système est inspiré de ce qui se fait en Australie, en Nouvelle-Zélande et au Royaume-Uni.
J’ai deux petits commentaires sur le fond, à partir de l’expérience britannique.
En Angleterre, l’argent est prêté PAR l’Etat britannique. Plafonné à £9700/an (3200 pour les frais d’inscription et environ 6500 pour les dépenses courantes), le prêt est remboursable à partir du moment où l’étudiant commence à gagner £15000 par an. Le taux d’intérêt sur le prêt est limité au taux d’inflation: c’est donc effectivement un prêt à taux zéro. Et le type qui rembourse le fait à hauteur de 9% de son revenu. Voilà pour le système. Mais je pose deux questions innocentes…
1. D’après l’organisme qui gère le système de prêts, l’encours de la dette des étudiants était de 21 milliards de livres en 2007-2008, soit 4 ans après le démarrage du système. Seuls 62% des gens avaient commencé à rembourser, et ce avant le déclenchement de la crise financière. Question: est-ce l’Etat « en faillite » (Fillon) qui va avancer cet argent, à taux zéro? La formulation ambiguë « prêt GARANTI PAR l’Etat » du projet de loi français laisse plutôt à penser que ce sont nos valeureuses banques qui vont faire les prêts… auquel cas, je me demande bien à quel taux. Plutôt que d’engraisser ainsi les banques (avec un risque 0 pour elles), ne vaudrait-il pas mieux donner aux universités les moyens de travailler directement, en les refinançant réellement? Pour avoir travaillé dans la système français, j’ai des souvenirs cuisants de la pénurie constante à laquelle nous devions faire face (« non, les photocopies, ce n’est pas possible pour le moment, on n’a plus d’argent pour le papier »).
2. Deuxième question innocente: depuis le début des années 2000, les universités britanniques ont été autorisées à augmenter leurs droits d’inscriptions jusqu’à un maximum annuel, fixé par l’Etat (aujourd’hui £3200). Le projet était d’enlever ce plafonnement en 2010 — et de voir en conséquence les frais s’envoler (on parle ici de plus de £10000/an pour les très grandes universités). Auquel cas, le montant des prêts d’Etat va s’envoler, sans nécessairement que cet argent soit bien employé (puisqu’il ne s’accompagne pas d’une obligation de réforme structurelle de l’organisation même des universités, ni d’un cahier des charges clair).
Ce projet semble avoir pour but de pressurer l’enseignement supérieur en lui imposant une « obligation implicite d’efficacité » (p.3 du projet), sans poser la question de la responsabilité des employeurs dans l’insertion professionnelle des étudiants, ni de la responsabilité de l’Etat dans le sous-financement ahurissant des universités françaises, qui se manifeste dans des locaux dégradés, des charges administratives démentielles pour le personnel enseignant et une désorganisation générale de l’institution.